Megan O’Neill : « Un rôle plus important de la sécurité privée serait extrêmement problématique »

La docteure Megan O’Neill est maître de conférences en géographie humaine à l’Université de Dundee, en Écosse, et directrice associée de l’Institut écossais de recherche sur la police (SIPR). Ses travaux portent sur la culture policière, le maintien de l’ordre communautaire, la pluralisation du secteur public en ce qui concerne le maintien de l’ordre, la police privée et les pratiques de surveillance de l’État. Elle a publié deux ouvrages, Policing Football (2005, Palgrave) et Police Community Support Officers (2019, Oxford University Press). Beaucoup de ses articles de recherche sont parus dans des revues telles que Policing and Society, The European Journal of Criminology, Theoretical Criminology, Criminology and Criminal Justice et The British Journal of Criminology.

1.- Certains spécialistes proposent la dissolution de la police. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une proposition raisonnable et réalisable ?

Si je peux comprendre la logique qui sous-tend le raisonnement en faveur de la dissolution de la police, je ne pense pas que ce soit la meilleure solution. Je plaiderais plutôt pour une approche de la résolution des problèmes sociaux qui intègre mieux les services du secteur public, et inclue également certaines organisations pertinentes du secteur privé et du tiers-secteur. Faire en sorte que les différents services travaillent de manière moins isolée les uns par rapport aux autres et s’orienter vers un système d’action et de budgétisation intégrées permettrait, selon moi, de mieux répondre à la criminalité et aux troubles de l’ordre public. La plupart des grands défis rencontrés dans le domaine du maintien de l’ordre ne devraient pas être du seul ressort de la police, bien qu’elle représente un partenaire important dans le processus de réponse à ces défis. La police et les autres agences nécessiteraient donc au moins des fonds supplémentaires afin de mettre en place ces systèmes et méthodes d’intégration et de communication. Toutes les agences concernées devraient également connaître des changements organisationnels importants. Par exemple, la police pourrait ne plus être la seule agence à intervenir 24 heures sur 24.

2.- En cas de dissolution des organisations policières, d’autres acteurs ou organismes pourraient-ils reprendre les fonctions de la police ?

Je ne suis pas d’accord avec l’idée que d’autres agences pourraient prendre en charge le travail de la police. Elle maîtrise un ensemble de compétences particulières qui sont absolument nécessaires pour certains événements ou incidents. La police dispose également d’une vaste expérience et d’un statut culturel qui lui permettent de jouer un rôle très important dans le cadre d’une coopération plus poussée avec d’autres services. Pour moi, il s’agit de trouver une meilleure façon d’intégrer les différents services pour prévenir la criminalité, les troubles de l’ordre public et les problèmes sociaux. Cela nécessiterait bien sûr un changement organisationnel important pour toutes les institutions concernées, y compris la police. Ce changement prendrait beaucoup de temps et devrait être communiqué avec soin et efficacement à tout le personnel de ces institutions. Ce changement susciterait des inquiétudes, mais si les agents sentaient qu’ils pouvaient exprimer leur opinion sur ce processus et être écoutés, il devrait être possible de le mener à bien. Le succès d’une intégration de cette ampleur nécessiterait l’engagement ferme de toutes les agences concernées.

3.- En cas de réduction du rôle de la police, la sécurité privée pourrait occuper une place plus importante. Ne serait-ce pas problématique pour de nombreux citoyens qui ne pourraient pas se permettre ses services ?

Un rôle plus important de la sécurité privée serait extrêmement problématique. Les organisations privées ont pour objectif principal la réalisation de bénéfices. Toute autre préoccupation passe après cet objectif. De nombreux chercheurs ont étudié le travail du secteur privé dans divers services de justice pénale (comme la police, les prisons et la gestion de la probation), et ils ont constaté de multiples échecs et des comportements problématiques. Cela ne veut pas dire que la police du secteur public est toujours parfaite, loin de là. Mais en tant qu’organisme responsable devant l’État ou devant les personnes qu’elle sert, la police publique a un devoir de diligence inhérent que le secteur privé ne pourra jamais égaler. C’est là le premier problème à soulever, avant même de se poser la question de savoir qui paierait les services du secteur privé et si cela entraînerait une stratification de la sécurité à laquelle pourraient aspirer les citoyens. Personnellement, je ne pense pas qu’il soit moralement correct de compter sur le secteur privé pour assurer la sécurité publique. Cependant, comme je l’ai mentionné plus tôt, le secteur privé peut être un partenaire pertinent dans la fourniture de services intégrés plus larges. Mais il resterait un partenaire mineur comparé à ceux du secteur public.

4.- Quelles fonctions doivent remplir les citoyens dans un modèle alternatif de gestion de la sécurité ? Quel rôle doivent-ils jouer et quelles doivent être les limites de leur intervention ?

La population aurait bien sûr un rôle à jouer dans le modèle intégré que je propose. Cette démarche est centrée sur les citoyens car les différents services doivent travailler ensemble pour déterminer les causes profondes de la criminalité, des troubles de l’ordre public ou des problèmes sociaux dans une communauté, et s’efforcer de traiter ces causes. En fin de compte, cette démarche ne réussira pleinement qu’avec la coopération des citoyens. Cependant, nous ne devrions pas mettre la population dans une situation où elle devrait jouer un rôle actif dans la réponse aux questions de sécurité, au-delà des gestes de bases comme le verrouillage des portes, la conservation sécurisée des mots de passe, etc. Beaucoup de citoyens n’ont pas les ressources ou la capacité d’être des acteurs actifs dans ces efforts et il n’est pas raisonnable d’attendre cela de leur part. Dans ce système, les chercheurs universitaires, tels que moi-même, auront un rôle important à jouer, consistant à mettre en évidence les meilleures données probantes disponibles sur l’efficacité de différentes méthodes dans des situations données ainsi qu’à évaluer les nouvelles initiatives au fur et à mesure qu’elles seront mises en œuvre.

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Alex S. Vitale : « L’État moderne a travaillé dur pour devenir la seule entité à pouvoir traiter les questions de sécurité. Nous devons rendre ce processus plus démocratique »

Alex S. Vitale est professeur de sociologie et coordinateur du projet pour le maintien de l’ordre et la justice sociale au Brooklyn College et au CUNY Graduate Center. Il est également professeur invité à l’Université London South Bank. Depuis 30 ans, il se consacre à la rédaction de textes divers dans le domaine du maintien de l’ordre, consultant à la fois les services de police et les organisations des droits de l’homme à l’échelle internationale. Le professeur Vitale est l’auteur de City of Disorder: How the Quality of Life Campaign Transformed New York Politics (La ville des troubles de l’ordre public : comment la campagne pour la qualité de vie a transformé la politique new-yorkaise) et The End of Policing (La fin du maintien de l’ordre). Ses écrits universitaires sur le maintien de l’ordre sont parus dans Policing and Society, Police Practice and Research, Mobilization et Contemporary Sociology. Il a également produit de nombreux essais, dont certains ont été publiés dans The New York Times, The Washington PostThe Guardian, The NationVice NewsFortune et USA Today. Il est également apparu dans des médias tels que CNN, MSNBC, CNBC, NPR et PBS, et dans des programmes télévisés tels que Democracy Now! et The Daily Show with Trevor Noah.

1.- Vous proposez de dissoudre les forces de police telles qu’elles sont actuellement structurées. Pensez-vous que certains aspects de la structure de la police devraient être conservés ?

Transformer la façon dont nous pensons la sécurité publique n’implique pas que nous éliminions les services de police du jour au lendemain. D’une part, ce n’est pas politiquement possible, et il n’est donc pas raisonnable de considérer cette idée comme une option. D’autre part, il faut entamer un processus de développement de nouvelles infrastructures de sécurité publique qui permettent de répondre aux préoccupations en la matière plus efficacement et sans les coûts sociaux négatifs dus au recours à la police. À mesure que nous développerons ces nouvelles infrastructures, nous pourrons réduire et éliminer les fonctions existantes au sein des forces de police actuelles. Par exemple, le Portugal a dépénalisé les drogues, ce qui lui permet de réduire le temps que la police consacrait auparavant à la lutte contre les stupéfiants. Un autre exemple est la création d’équipes non policières d’intervention de crise pour répondre aux appels d’urgence dans le domaine de la santé mentale, ce qui permet de diminuer la capacité des patrouilles de police. 

2.- En cas de dissolution des organisations policières, d’autres acteurs ou organismes pourraient-ils reprendre les fonctions de la police ?

Oui, c’est l’objectif, même si ces fonctions pourraient être très différentes de ce que fait la police. Plutôt que d’essayer de contrôler et d’interrompre la distribution et la consommation de drogues, nous pourrions investir dans les services de santé publique et dans la légalisation de la distribution de drogues. 

3.- En cas de réduction du rôle de la police, la sécurité privée pourrait occuper une place plus importante. Ne serait-ce pas problématique pour de nombreux citoyens qui ne pourraient pas se permettre ses services ?

L’objectif de cette nouvelle approche est de réduire les vulnérabilités, de sorte que l’infrastructure de sécurité requise soit également réduite. Si la part de la population pauvre, sans logement, sans accès aux services de santé de base, etc., est plus faible, il y aura un moindre besoin de systèmes punitifs de contrôle de la criminalité, qu’ils soient publics ou privés.

4.- Quelles fonctions doivent remplir les citoyens dans un modèle alternatif de gestion de la sécurité ? Quel rôle doivent-ils jouer et quelles doivent être les limites de leur intervention ?

L’État moderne a travaillé dur pour devenir la seule entité à pouvoir traiter les questions de sécurité. Nous devons rendre ce processus plus démocratique. Il convient de donner aux communautés des ressources qui leur permettent de répondre plus efficacement à divers problèmes de sécurité publique par elles-mêmes. Cela peut impliquer, entre autres, d’accroître la capacité des organisations à l’échelle des communautés à traiter des questions telles que la violence domestique, les nécessités en matière de santé mentale, la toxicomanie ainsi que les services pour la jeunesse. Cela peut aussi impliquer d’améliorer la capacité des individus à travailler ensemble pour résoudre les problèmes de manière coopérative, comme des plaintes pour nuisance entre voisins, membres d’une même famille, amis, etc. L’implication de la police dans tous les conflits imaginables entraîne d’énormes coûts financiers et sociaux, et nous devrions nous efforcer de réduire son rôle autant que possible. 

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Juan José Medina Ariza : « Nous avons également besoin d’une police plus plurielle, avec davantage de personnel civil ainsi qu’une plus grande diversité dans ses rangs »

Juanjo Medina est un éminent chercheur au sein du programme Talentia et affilié au département de droit pénal et de sciences criminelles de l’Université de Séville. Il était jusqu’en août 2020 professeur titulaire de criminologie quantitative et directeur du département de criminologie de l’Université de Manchester. Il a assuré la présidence de la société espagnole de criminologie de 2016 à 2020.

1. Quels sont les éléments qui définissent un modèle policier ?

Il s’agit à mon sens d’une question terriblement importante et qui n’a, malgré l’utilisation fréquente de l’expression « modèles policiers », toujours pas reçu réponse satisfaisante. Le travail de Kelling et Moore (1988) constitue peut-être encore aujourd’hui l’exemple le plus connu visant à y répondre de manière systématique. Ils ont établi 7 dimensions : source de légitimité, définition du rôle de la police, conception organisationnelle des services, relations avec la communauté, nature des efforts de la police pour commercialiser ou gérer la demande de ses services, tactiques et mesures convenues de réussite. En se concentrant sur l’expérience historique américaine, ils font la distinction entre les modèles politique, réformiste/professionnel et communautaire/de résolution de problèmes. Guillen (2016), à la suite de Bertaccini, discute de la façon dont le terme « modèle policier » est souvent utilisé comme « point de référence » pour améliorer les façons antérieures de penser et d’organiser la police, ce que Wood et Shearing (2007) qualifient de « vagues de réformes policières ». Ainsi, à bien des égards, toute la discussion sur les modèles policiers a pris jusqu’à présent une dimension clairement politique et idéologique. Il semble qu’il s’agisse davantage de ce à quoi nous voudrions que la police ressemble, que d’un concept utilisé pour mesurer la diversité des modèles : la manière dont les organisations policières varient entre les juridictions nationales et régionales. Sans rejeter la pertinence d’une telle utilisation du terme « modèle de policier », en tant qu’empiriste, je pense qu’il serait utile de commencer à réfléchir à des dimensions pertinentes qui pourraient être utilisées pour caractériser les modèles existants et leurs différences, d’une manière plus rigoureuse et fondée.

2. Parmi les modèles policiers existants, lequel est, selon vous, le meilleur pour assurer une coexistence pacifique et une société sûre ?

Je suppose que ma réponse précédente me place dans une position délicate pour répondre à cette question ! Je ne suis pas sûr que nous puissions lister de manière exhaustive les modèles de police existants dans le monde et encore moins déterminer lequel est le meilleur. Ceux d’entre nous ayant travaillé dans divers pays et connaissant différentes institutions policières à l’échelle internationale sont conscients de certaines de leurs différences et similitudes les plus notables. Nous devrions suivre les pas de David Bayley en essayant de nous engager dans une comparaison empirique transnationale plus systématique si nous voulons vraiment identifier clairement ces modèles. Une grande partie des discussions sur la réforme a été menée par les universitaires américains spécialisés dans le maintien de l’ordre, dont les principaux intérêts sont de maximiser l’efficacité de la réduction de la criminalité (par le biais de points chauds, de la résolution de problèmes, etc.) tout en minimisant les coûts sociaux, inégalement répartis, des tactiques proposées. Pour atteindre ce dernier objectif, nous devons mieux comprendre l’ampleur de ces coûts. Mais nous devons de toute façon aller au-delà de ce genre de discussions. Le système policier est plus complexe qu’une simple agence de lutte contre le crime. Pour moi, un bon modèle est débattu démocratiquement et soutenu par la citoyenneté. Comme indiqué précédemment, nous devons prendre en compte différents éléments (nature du rôle de la police, tactiques, mécanismes de responsabilité, nature et contenu de la formation, degré de diversité, et un très long et cetera). En Espagne, nous sommes très en retard sur cette question. Des initiatives comme celles du Parlement catalan, mais aussi la position de différentes ONG et d’universitaires espagnols plus critiques à l’égard du maintien de l’ordre, constituent un bon premier pas vers la tenue de ce débat qui, je l’espère, recevra l’attention qu’il mérite. Le problème est de savoir si la classe politique sera suffisamment mature et responsable pour suivre le mouvement.

3. Au-delà du contrôle judiciaire, quel contrôle externe les organisations policières devraient-elles avoir ? Quelles sont les conséquences de ces contrôles ?

Je pense qu’en termes de responsabilité et de contribution démocratique, nous devons penser au-delà des mécanismes formels de discipline (qu’ils soient internes, judiciaires ou externes). Nous avons également besoin d’une police davantage plurielle, une plus grande diversité dans ses rangs et plus de personnel civil. Des partenariats entre la police et les universités sont nécessaires. Nous avons besoin de journalistes qui prennent au sérieux le rôle de la police, plutôt que de se contenter de rendre compte des crimes graves ou émotionnels. Nous devons complètement repenser la formation de la police et qui doit s’en charger et je pense qu’il est important que la communauté soit davantage impliquée durant cette étape. Une amélioration des protocoles internes sur les incidents critiques ainsi que des données beaucoup plus exhaustives et ouvertes sur ces incidents sont nécessaires. J’aimerais que l’Espagne adopte un système similaire aux inspections britanniques, afin qu’il y ait un véritable audit des performances de la police et de la qualité des services dans tout le pays. Nous avons besoin de commissions parlementaires capables de travailler ensemble pour trouver une forme d’accord sur les mesures à prendre et des ministres qui n’ont pas peur de critiquer leurs propres employés lorsqu’ils adoptent des pratiques inacceptables. Si tout ce que nous avons en Espagne, à part le système judiciaire, est le défenseur des droits de l’homme, c’est que nous devons rendre cette institution plus efficace qu’elle ne l’est actuellement.

4. Dans quelles circonstances la police doit-elle changer de modèle s’il n’est pas considéré comme valide, et qui doit être chargé de ce changement : les professionnels, le gouvernement ou les citoyens ?

Nous devrions faire ce que la citoyenneté exige, le gouvernement devrait faciliter la transition, et les professionnels, ainsi que les universitaires, devraient communiquer sur les nuances, les difficultés et les défis des réformes proposées. En fin de compte, les professionnels doivent comprendre que dans une démocratie, ils sont au service peuple, et non l’inverse, et qu’ils ne peuvent pas faire obstacle au changement. Bon nombre d’Espagnols adultes n’étaient même pas encore nés lorsque le modèle actuel a été inscrit dans la loi organique 2/1986. Depuis lors, la société a évolué. De plus, il existe de nombreux problèmes liés à la loi de la protection de la sécurité des citoyens, surnommée en Espagne « ley mordaza » (loi bâillon). Ainsi, il est raisonnable de considérer que les circonstances permettant d’établir un nouveau contrat social sur le modèle policier sont déjà réunies en Espagne.

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Rossella Selmini : « Les modèles policiers répressifs et de tolérance zéro créent des conflits et sapent la confiance »

Rossella Selmini est professeure associée de criminologie à l’Université de Bologne, département des sciences juridiques. Auparavant, elle a été professeure à l’Université du Minnesota, aux États-Unis, et directrice du département de la sécurité urbaine et de la police locale au sein du gouvernement régional d’Émilie-Romagne, en Italie. De 2015 à 2018, elle a présidé la Société européenne de criminologie.

1. Quels sont les éléments qui définissent un modèle policier ?

Les écrits de la recherche sur le maintien de l’ordre déterminent plusieurs éléments qui définissent un modèle policier. Parmi eux, je considère qu’il est particulièrement important d’identifier trois éléments : les principes généraux qui doivent guider le modèle, l’organisation des organes et les fonctions qui leur sont attribuées.

2. Parmi les modèles policiers existants, lequel est, selon vous, le meilleur pour assurer une coexistence pacifique et une société sûre ?

Dans les sociétés occidentales contemporaines, bien qu’avec des différences frappantes liées aux particularités nationales et locales, deux modèles en particulier se détachent : le modèle dit de « tolérance zéro » et la police de proximité. Ils présentent des similarités, mais les principes fondamentaux qui guident les actions de la police sont différents. Dans le modèle de police de proximité, les principes de service à la communauté et de relation avec toutes les composantes de la communauté, y compris les minorités et les jeunes générations, prévalent : création d’une relation de confiance, préférence pour la résolution pacifique des conflits et usage de la répression en dernier recours. Ces principes doivent régir les différents organes des institutions policières, de la police administrative à la police judiciaire, en passant par le contrôle de l’ordre public et la prévention criminelle. En outre, au vu des résultats des différentes recherches, je considère ce modèle comme le meilleur d’autant plus qu’il a été démontré qu’il est celui qui garantit le plus adéquatement une coexistence pacifique, assurant la sécurité des citoyens et augmentant la confiance et la légitimité de la police.

Les modèles répressifs et de tolérance zéro, en revanche, créent des conflits et sapent la confiance, notamment parmi les groupes les plus vulnérables de la société, renforçant une culture de l’intolérance et de la peur, sans pour autant contribuer de manière significative à la lutte contre la criminalité. Au vu du dernier débat sur la réduction des effectifs de la police, on peut même envisager un modèle de police communautaire dans lequel certaines fonctions particulièrement sensibles qui sont aujourd’hui encore exercées par la police, comme la gestion des maladies mentales et les déséquilibres sociaux en général, seraient confiées à d’autres organismes de nature non policière. D’autre part, dans le cadre d’un modèle de police de proximité, les fonctions d’ordre public doivent également être redéfinies et maintenues dans des limites strictement compatibles avec l’exercice des droits civils et politiques.

3. Au-delà du contrôle judiciaire, quel contrôle externe les organisations policières devraient-elles avoir ? Quelles sont les conséquences de ces contrôles ?

La question de la responsabilité policière est particulièrement importante, notamment dans les pays du sud de l’Europe, qui, en général, calquent le contrôle des agents de police sur le contrôle disciplinaire interne et celui de l’autorité judiciaire. Je suis convaincue qu’un troisième organe, intermédiaire entre les contrôles interne et judiciaire, serait utile pour garantir une évaluation indépendante. Cet organe devrait comprendre des experts et des membres de la communauté locale et de la société civile. Doté du pouvoir d’intervention nécessaire, cet organe devrait permettre de réduire le nombre d’abus et de cas de violences policières restés impunis, comme c’est aujourd’hui trop souvent le cas.

4. Dans quelles circonstances la police doit-elle changer de modèle s’il n’est pas considéré comme valide, et qui doit être chargé de ce changement : les professionnels, le gouvernement ou les citoyens ?

Je ne crois pas que des circonstances particulières soient nécessaires pour changer un modèle policier : pratiquement tous les modèles de police, notamment dans certains pays européens, dont la France, l’Italie et l’Espagne, ont besoin de réformes radicales, que ce soit dans le contrôle de la criminalité du quotidien ou, surtout, dans le contrôle de l’ordre public et des relations avec les minorités ethniques. Les comportements discriminatoires, les abus et le recours excessif à la force sont des phénomènes fréquents dans ces trois pays et constituent des phénomènes qui nécessitent un changement plus radical dans l’organisation des corps policiers, dans leur culture et dans la notion de responsabilité, sans se limiter à des réformes superficielles (par exemple, une plus grande attention aux formes de sélection ou de formation professionnelle est importante, mais pas suffisante).

Je pense que la réforme d’un modèle policier ne peut être efficace que si elle part d’une vaste consultation des citoyens, y compris des minorités ethniques et des personnes les plus vulnérables, sur le modèle concerné comme c’est le cas, non sans difficulté, dans certaines villes américaines après le décès de George Floyd. Il devrait appartenir à la communauté locale, avec l’aide éventuelle d’experts, de déterminer le modèle de maintien policier qu’elle souhaite et ce modèle devrait ensuite être débattu avec les organes législatifs.

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Nora Miralles Crespo : « L’introduction et la standardisation des technologies de surveillance de masse et de la biométrie nous font vivre sous un contrôle permanent et nous privent de vie privée»

Nora Miralles Crespo : Journaliste. Master en Genre, conflit et droits de l’homme de l’Université d’Ulster (Belfast) et master en Relations internationales, sécurité et développement de l’Université autonome de Barcelone. Chercheuse en genre, sécurité, militarisme et droits de l’homme à l’Observatoire des droits de l’homme et des entreprises en Méditerranée (ODHE) et à Shock Monitor, ainsi qu’au Centre Delàs d’études sur la paix. Conseillère et chercheuse dans le domaine des alternatives de sécurité à l’Institut international catalan pour la paix (ICIP). Militante pour différents mouvements sociaux.

1. Quelles stratégies la police utilise-t-elle dans le domaine de l’ordre public ?

Globalement, je perçois deux tendances stratégiques opposées ou divergentes qui coexistent dans le domaine de l’ordre public. L’une d’elles est l’ouverture à d’autres visions de la sécurité, qui se concrétise par l’introduction d’outils tels que la médiation, la police de proximité ou de quartier ou les programmes de mentorat pour les jeunes. Ces approches ont un impact sur l’ordre, mais sont avant tout préventives et reposent sur une compréhension plus approfondie des causes des conflits sociaux. L’autre, au contraire, s’aligne sur le processus d’expansion acritique des fonctions policières et l’approche sécuritaire de phénomènes qui n’étaient pas considérés auparavant comme des problèmes ou des troubles à l’ordre public. Cette dernière tendance s’est traduite, entre autres, par une atteinte évidente aux droits des citoyens tels que les libertés d’expression et de manifestation. Une tendance émergente est l’introduction et la standardisation de technologies de surveillance de masse et de la biométrie nous faisant vivre sous un contrôle permanent et nous privant de vie privée, sans que leur utilisation soit justifiée ou correctement réglementée, ainsi que l’utilisation toujours plus fréquente d’armes (supposément) non létales.

2. Est-il possible d’adopter un plan d’action prédéterminé selon les différents types de manifestation et la manière dont ces derniers peuvent évoluer ?

Sans aucun doute, si l’objectif est d’agir en respectant les droits de l’homme et des citoyens, la mise en place d’une méthode d’action invariable doit nécessairement découler d’une analyse et d’une réflexion préalables sur comment d’aborder le conflit de la manière la plus proportionnée et la moins nocive possible, à chaque moment et pour chaque scénario. Les protestations sociales sont des réactions naturelles aux décisions de la classe politique. Elles constituent un moyen normal et démocratique d’exprimer un mécontentement ou une divergence. Le premier problème, à mon sens, est la diabolisation de la protestation sociale, de sorte qu’il devient logique et courant que toute manifestation ou événement politique dans l’espace public fasse l’objet d’une présence importante non pas de patrouilles de sécurité, mais d’unités spécialisées en maintien de l’ordre, comme si manifester était en soi un trouble à l’ordre public. D’un autre côté, les actions violentes lors des manifestations sont minoritaires et presque jamais dirigées contre d’autres personnes, et pourtant il semble que la réponse soit trop souvent disproportionnée face à la gravité des faits.

3. Dans quelles conditions le droit de manifester peut-il être interrompu ou limité pendant un rassemblement ou une mobilisation ?

Pour moi, la différence réside sans aucun doute dans le risque pour l’intégrité physique ou la vie d’autrui. Je parle d’un risque réel, pas d’une échelle arbitraire au nom de laquelle interrompre toutes les manifestations qui critiquent l’ordre établi ou qui envoient des messages sans intérêt, au sens large.

4. Quelles doivent être les responsabilités des organisateurs d’une manifestation en ce qui concerne le contrôle de la mobilisation et les conséquences allant à l’encontre de leur volonté ?

Je considère qu’il est dangereux et même hypocrite de vouloir rendre les citoyens qui s’organisent pour appeler à une manifestation responsables de tout ce qui se passe, alors que d’autre part, au cours des dernières décennies, la responsabilité de pratiquement tout ce qui concerne l’intervention sociale et communautaire leur a été enlevée, parce qu’il était déjà intéressant que tout ce qui est collectif soit guidé et contrôlé par l’Administration. Soit vous accordez la pleine responsabilité aux citoyens, soit vous la leur retirez complètement, mais ne la leur donner qu’afin de faire endosser à quelqu’un une émeute est clairement une façon de limiter les libertés publiques. Les quelques poches d’opposition disparaîtraient par peur de la répression pénale et administrative.

5. Selon vous, lors de manifestations comportant un certain degré de violence, quels instruments est-il acceptable d’utiliser pour rétablir l’ordre public en causant le moins de dommages possible ? Des canons à eau, par exemple ?

Évidemment, un canon à eau fera moins de dégâts, en principe, qu’un flash-ball, mais une médiation bien dirigée sera toujours moins incendiaire que tout mécanisme répressif. Les conflits sociaux, y compris les expressions violentes dans les manifestations, doivent être abordés en priorité sur une base préliminaire et structurelle, car ils surgissent en réaction à la discrimination et à la violence générées par un système socio-économique de plus en plus inégalitaire. Par conséquent, les réponses répressives dans le contexte concret d’une manifestation sont impuissantes face à un problème beaucoup plus profond, elles instaurent une fausse paix sociale, qui ne tient compte que de l’absence de conflit dans l’espace public. Mais la violence sociale ne disparaît pas, elle s’enracine simplement, se canalise dans d’autres sphères comme la sphère privée ou se traduit par une augmentation de la violence au sein de la communauté et de la famille. Concernant les mal nommées « armes non létales », j’apprécie particulièrement la réflexion de Paul Rocher dans son livre Gazer, mutiler, soumettre. Politique de l’arme non létale, récemment publié par La Fabrique Éditions, sur la façon dont ce type de mécanisme, considéré comme moins nocif, en plus d’être discutable en termes de dégâts potentiels (entraînant mutilations et même, contrairement à ce que leur nom laisse entendre, la mort), finit par être utilisé non pas en substitution à des armes plus dangereuses, mais dans des conflits durant lesquels aucune arme n’était utilisée auparavant.

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Ralph Roche : « Toute restriction ou limitation du droit de manifester constitue une atteinte sévère aux droits de l’homme »

Ralph Roche est un avocat spécialisé dans les questions relatives aux droits de l’homme, à l’administration judiciaire et au maintien de l’ordre. Fort d’une riche expérience en Irlande du Nord et dans la région des Balkans occidentaux, il a travaillé pour les services de police et en tant que consultant pour le Conseil de l’Europe. De 1998 à 2005, il a vécu en Bosnie-Herzégovine, où il a travaillé pour un tribunal des droits de l’homme, le Bureau du Haut Représentant et la Commission européenne. Depuis lors, il travaille pour le Service de police d’Irlande du Nord en tant que conseiller juridique en matière de droits de l’homme, et pour le tribunal spécial du Kosovo à La Haye en tant que directeur de la division des services judiciaires.

Il est co-auteur du manuel du Conseil de l’Europe intitulé « The European Convention on Human Rights and Policing » (La Convention européenne des droits de l’homme et le maintien de l’ordre).

1.- Quelles stratégies la police utilise-t-elle dans le domaine de l’ordre public ?

Les services de police doivent adopter une approche souple lors de la gestion des troubles de l’ordre public. Toute stratégie doit être motivée par la protection des droits de l’homme de toutes les personnes concernées par les manifestations et autres troubles de l’ordre public. Le respect des principes des droits de l’homme permet aux services de police d’appliquer toute une série de mesures claires, fondées sur la vaste jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Une analyse stratégique globale doit être mise en place, fondée sur des informations pertinentes et récentes couvrant des aspects tels que les menaces et les risques, ainsi que les causes et les thèmes probables de tout trouble de l’ordre public. Une fois cette stratégie en place, elle permet de déployer des ressources adéquates (tant humaines que techniques) et d’appliquer les réponses opérationnelles planifiées aux scénarios potentiels. 

Il est primordial que les forces de l’ordre adoptent une approche neutre, qui n’interdise pas effectivement aux manifestants d’exprimer des points de vue qu’eux-mêmes ou la population pourraient trouver choquants. Il s’agit d’une condition fondamentale d’une société démocratique, comme l’a confirmé la Cour européenne des droits de l’homme à plusieurs occasions. Par exemple, l’interdiction pure et simple ou l’imposition d’obstacles bureaucratiques aux manifestations ont été considérées comme des violations des droits à la liberté d’association et d’expression. Si les services de police ne sont pas toujours tenus de prendre de telles décisions, dans les cas où ils le sont, ils doivent veiller à ce que celles-ci soient prises sur une base défendable, conformément à la législation locale et aux principes fondamentaux des droits de l’homme. La police du Royaume-Uni a adopté le Modèle national de prise de décision (disponible en suivant le lien suivant : https://www.college.police.uk/app/national-decision-model/national-decision-model), qui définit un cadre pour la prise de décisions dans tous les domaines de l’activité policière. Il s’agit d’un modèle simple et efficace. Lorsqu’il est adopté par tous les acteurs de la police impliqués dans une opération, il permet une compréhension commune de la manière dont les décisions doivent être prises et mises en œuvre. Il accorde une place centrale à l’éthique et aux normes professionnelles et intègre une série de principes clés, dont la responsabilité, l’équité et le respect. J’ai été personnellement impliqué dans une série d’opérations policières dynamiques et complexes où il a été utilisé par un large éventail de brigades de police pour prendre des décisions rapides et efficaces tout en garantissant la protection des droits de chaque individu concerné par l’opération.

Un autre aspect fondamental est le fait que la police considère que sa mission consiste à protéger les droits de la population. Dans une société démocratique, la police ne doit pas se définir comme un instrument du pouvoir de l’État, mais comme un défenseur des droits des personnes participant à des événements publics. Le maintien de l’ordre ne consiste pas à contrôler, mais plutôt à encourager l’exercice des libertés démocratiques. Cela permettra également d’améliorer les relations entre la police et la population. 

2.- Est-il possible d’adopter un plan d’action prédéterminé selon les différents types de manifestation et la manière dont ces derniers peuvent évoluer ?

D’après moi, il n’est pas possible pour la police d’adopter une approche prédéterminée des manifestations et autres événements publics. Chaque manifestation ou événement d’ordre public est différent et doit être considéré individuellement. Si la police peut et doit s’appuyer sur les informations obtenues lors d’événements similaires antérieurs, elle doit également examiner les informations disponibles pour chaque événement et adapter sa réponse en conséquence. Le fait qu’un événement antérieur ait pu entraîner des dissensions (par exemple, entre des groupes rivaux) ne constitue pas en soi un motif pour restreindre ou interdire des événements futurs. La nature changeante de la société implique que les événements et leurs acteurs évoluent dans le temps

Bien entendu, la police se doit de réfléchir aux scénarios susceptibles de se produire lors des manifestations, et les exemples de manifestations antérieures constituent un très bon point de départ à cet égard. Comme le disent souvent les policiers : « Celui qui ne parvient pas à planifier planifie son échec ». Toutefois, la planification est une aide à la prise de décision, et non une fin en soi. Comme indiqué ci-dessus, une analyse stratégique globale permet à la police de se préparer à des scénarios potentiels. Il permet également à la police de former les agents aux tactiques requises, ainsi qu’à la négociation, à la mobilisation et à la collecte d’informations.

En outre, la police ne devrait pas adopter une approche prédéterminée pour une autre raison pratique : les personnes désireuses de troubler l’ordre public pourraient rapidement prendre connaissance de ces approches et trouver le moyen de les compromettre. Si la police emploie les mêmes tactiques de manière répétée, les individus désireux de s’en prendre à la police peuvent les utiliser pour mettre au point des moyens de nuire ou de blesser les forces de l’ordre. 

3.- Dans quelles conditions le droit de manifester peut-il être interrompu ou limité pendant un rassemblement ou une mobilisation ?

Toute restriction ou limitation du droit de manifester constitue une atteinte sévère aux droits de l’homme. Cela concerne les droits à la liberté d’expression et d’association, ainsi que le droit de manifester ses convictions. Les interventions policières peuvent également impliquer le droit de ne pas subir de traitements inhumains et, dans certains cas extrêmes, le droit à la vie. Toutefois, certaines circonstances exigent une intervention des forces de l’ordre, par exemple pour garantir le respect du droit de manifester ou pour protéger les droits et libertés d’autrui. Les interventions réalisées lors d’un événement sont plus délicates et présentent davantage de risques pour la sécurité des participants, ainsi que pour la vie et la sécurité des agents de police. 

Les restrictions doivent être légalement fondées : le droit national doit prévoir une disposition permettant de les appliquer. Toute restriction doit avoir un but légitime. Dans la pratique, les restrictions sont le plus souvent imposées afin de prévenir les crimes ou les troubles, ou afin de protéger les droits d’autrui. Par ailleurs, les restrictions doivent être adaptées. Par exemple, interrompre une manifestation en raison d’une infraction mineure ou technique n’est pas forcément nécessaire au sein d’une société démocratique. La Cour européenne des droits de l’homme a rendu de très nombreux arrêts dans le cadre desquels des restrictions ont été imposées sur la base de critères très mineurs, et il est clair qu’il s’agit souvent d’un moyen de réprimer l’expression d’idées n’allant pas dans le sens des autorités.

Pour justifier une intervention lors d’un événement, il convient d’avoir de solides raisons de le faire. L’une d’entre elles, évidente, est la mise en danger de la sécurité des individus (qu’il s’agisse d’agents de police, de participants ou de la population). Le comportement des participants peut également justifier une intervention, par exemple si les conditions légales de l’événement ne sont pas respectées. Ainsi, si l’autorité compétente a imposé des restrictions à un événement, celles-ci doivent en principe être respectées. Toutefois, le non-respect d’une quelconque restriction ne justifie pas, en soi, une intervention. Avant d’entreprendre une action immédiate, la nécessité de celle-ci doit être analysée. Dans de nombreux cas, une action ultérieure sera suffisante pour s’assurer du respect de la loi.

Chaque pays possède sa propre approche de la réglementation des rassemblements publics. Par exemple, dans certains pays, c’est au maire ou à un autre élu qu’il revient de définir les conditions dans lesquelles les événements publics peuvent se dérouler. En Irlande du Nord, toute personne souhaitant organiser une manifestation publique doit en informer la Parades Commission, un organisme public institué par la loi. Dans les cas où la responsabilité principale incombe à la police, celle-ci doit s’assurer que toutes ses décisions respectent la loi et ne sont pas motivées par des raisons inappropriées, telles que la discrimination.

Les décisions en matière d’intervention peuvent également exiger la décision d’un organisme autre que la police. Cela peut poser problème, car les élus ne sont pas forcément les mieux placés pour comprendre les conséquences pratiques des décisions en matière d’intervention. Selon moi, la police, opérant dans un cadre juridique clair et ayant procédé à une consultation aussi large que possible en tenant compte des circonstances, est la mieux placée pour prendre des décisions au sujet de la nécessité d’intervenir lors d’événements publics. Bien que cela représente une charge importante pour les forces de l’ordre, cela leur donne également l’occasion de faire valoir leur professionnalisme et leur expertise dans un scénario pratique.

Il convient également de rappeler que le non-respect des conditions imposées dans le cadre d’une manifestation ne constitue pas, en soi, une raison d’intervenir. Si l’écart constaté ne risque pas d’entraîner des blessures ou des perturbations excessives, il peut s’avérer pertinent d’autoriser la poursuite de l’événement. Au besoin, des enquêtes ou toute autre mesure peuvent être prises après l’événement. Il est particulièrement difficile d’intervenir contre des manifestations en cours, sachant que cela peut entraîner un recours important à la force et provoquer des blessures, tant chez les participants que chez les forces de l’ordre.

4.- Quelles doivent être les responsabilités des organisateurs d’une manifestation en ce qui concerne le contrôle de la mobilisation et les conséquences allant à l’encontre de leur volonté ?

Organiser ou participer à une manifestation implique certaines responsabilités. Les organisateurs doivent veiller à ce que la manifestation se déroule dans le respect de la loi, ainsi que de toute exigence ou restriction imposée par les autorités compétentes. Si l’organisateur considère que de telles exigences sont excessives ou illégales, il doit faire usage de tous les recours juridiques dont il dispose en vertu de la législation locale. Il importe d’éviter de ne pas satisfaire aux exigences lors d’une manifestation, car cela peut entraîner des conséquences pénales ou autres. Quant à la responsabilité des organisateurs vis-à-vis des actions des participants lors des manifestations, seules les actions qui relèvent de leur responsabilité peuvent leur être imputées. Si des individus prennent part à une manifestation dans l’intention de nuire à l’ordre public ou de commettre d’autres infractions pénales, les organisateurs peuvent avoir très peu de moyens de les en empêcher. Alors que des commissaires et autres dispositifs de sécurité doivent être mis en place lors d’une manifestation bien organisée, les principes de responsabilité stricte ou d’autres moyens juridiques permettant de tenir les organisateurs responsables des actions d’autrui doivent être évités car ils peuvent constituer une restriction injustifiée du droit effectif à la liberté d’association.

Les organisateurs doivent également coopérer avec les forces de l’ordre, afin de s’entretenir des enjeux communs. En Irlande du Nord, la police communique régulièrement avec les organisateurs des manifestations pour aborder les aspects pertinents et mieux comprendre les besoins et les attentes des manifestants. Ainsi, les malentendus peuvent être évités et un dialogue peut être établi pour favoriser la mobilisation au cours de la manifestation. En outre, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu que le refus d’un organisateur de collaborer avec la police peut justifier la mise en place de restrictions ou d’autres mesures, le cas échéant. 

5.- Selon vous, lors de manifestations comportant un certain degré de violence, quels instruments est-il acceptable d’utiliser pour rétablir l’ordre public en causant le moins de dommages possible ? Des canons à eau, par exemple ?

En cas de troubles, les forces de police doivent disposer d’un grand nombre d’options tactiques pour y faire face. La première stratégie à adopter doit toujours être axée sur la mobilisation, en tirant parti des échanges antérieurs avec les organisateurs et les participants et en cherchant à identifier et à résoudre le problème. Dans les cas où cela n’est pas possible, des options tactiques relatives à l’usage de la force sont nécessaires. Celles-ci sont nombreuses et variées, et comprennent des équipements de protection individuelle pour les agents, des véhicules sécurisés, des barrières et des dispositifs de communication. En cas de troubles plus importants, d’autres mesures telles que les canons à eau ou des projectiles moins létaux doivent être disponibles. Cependant, le recours à de telles tactiques doit impérativement se faire dans le respect des lois et des droits de l’homme. Pour ce faire, elles doivent être intégrées dans les procédures opérationnelles et la formation des agents de police. Des chaînes de commandement et des responsabilités claires relatives au déploiement et à l’utilisation de ces tactiques sont nécessaires. Un poste de commandement central, fournissant des informations en direct, devrait être mis en place pour les événements importants où le risque de violence ou de troubles est présent.

Plusieurs normes internationales régissent l’usage de la force par les autorités gouvernementales. Plus important encore dans ce contexte, l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme exige que la force létale ne soit utilisée que lorsqu’elle est indispensable dans le but de protéger des vies. Cela signifie que cette force ne doit être utilisée qu’en dernier recours, lorsqu’aucune autre option n’est disponible. La jurisprudence établit clairement que les tactiques policières ne doivent pas faire de la force létale une solution inévitable ou très probable. Des alternatives moins létales (comme les sacs à pois ou les projectiles au poivre) sont fréquemment mises à disposition des forces de l’ordre, mais leur utilisation doit être soumise à des règles strictes. Ces tactiques ne doivent être utilisées que contre des agresseurs isolés, et non contre une foule en général. Les méthodes telles que le canon à eau peuvent être utiles dans les situations où il est nécessaire de maintenir une distance entre des groupes opposés ou d’empêcher une foule de dépasser un certain périmètre.

La mise en place d’une approche systémique est essentielle. Cela suppose que seuls des agents dûment formés soient autorisés à recourir à des méthodes d’usage de la force et que leur utilisation soit soumise à des règles strictes. L’opération policière doit être dirigée et supervisée par des officiers expérimentés, collaborant avec leurs collègues pour s’assurer que le degré de force employé est le minimum nécessaire pour atteindre l’objectif visé. La force ne doit jamais être utilisée pour punir, elle ne doit servir qu’à prévenir les troubles et à ramener la situation à la normale le plus rapidement possible.

Les opérations policières les plus efficaces auxquelles j’ai participé, souvent en conseillant les commandants en temps réel au fur et à mesure de l’évolution de la situation, impliquaient un commandant et des officiers dûment formés, travaillant dans un cadre juridique et pratique bien défini, avec des objectifs stratégiques clairs quant au résultat souhaité. Certaines d’entre elles impliquaient le recours à une force considérable contre des individus violents dans des circonstances très dangereuses. 

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Septième anniversaire du blog Notes de seguretat

Le blog Notes de seguretat aura bientôt sept ans. Au cours de cette période longue et intense, mais passionnante, nous nous sommes concentrés sur la recherche de nouveautés, de lignes d’action, d’actualités, de tendances ou de politiques dans le domaine de la sécurité. L’objectif était d’ouvrir des réflexions sur le monde, ainsi que de recueillir vos contributions.

Après le chemin que nous avons parcouru tous ensemble, avec la livraison de deux notes par semaine, les données nous incitent à continuer à travailler dur et avec encore plus d’enthousiasme. Nos abonnés et lecteurs peuvent se faire leur propre avis, mais, après près de sept ans d’efforts, les chiffres sont significatifs : nous avons dépassé les 210 000 vues sur le blog, avec environ 112 000 visiteurs basés dans plus de 150 pays différents. Avec plus de 2 300 notes publiées dans les quatre langues de diffusion du blog, nous comptons maintenant près de 700 abonnés. Pendant tout ce temps, nous avons chaque année avec de meilleurs résultats d’audience que les années précédentes.

Nous avons également obtenu de très bons résultats en ce qui concerne la diffusion des notes via Twitter dans ces quatre langues : nous suivons 520 profils et nous avons près de 400 followers.

Comme lors de certains autres anniversaires du blog, nous célébrerons ce septième anniversaire par la publication de six entretiens courts avec des personnes réputées dans le domaine de la sécurité. Il s’agit d’entretiens croisés portant sur sujets spécifiques de la sécurité : l’ordre public, les modèles de maintien de l’ordre et les nouvelles propositions en matière de sécurité. Nous pourrons ainsi présenter la vision et le point de vue de différents spécialistes d’un même sujet dans le domaine de la sécurité.

Le lundi 24 octobre, nous interrogerons le responsable des affaires juridiques de l’ordre public en Irlande du Nord, Ralph Roche, sur l’ordre public. Le mercredi 26 octobre, nous interrogerons Nora Miralles Crespo, journaliste et chercheuse, sur le même sujet.

Le lundi 31 octobre, nous interrogerons l’ancienne présidente de la Société européenne de criminologie, Rossella Selmini, sur les modèles de maintien de l’ordre. Le mercredi 2 novembre, nous interrogerons, sur le même sujet, Juanjo Medina Ariza, chercheur rattaché au département de droit pénal et des sciences criminelles de l’Université de Séville.

Enfin, le lundi 7 novembre, nous interrogerons le professeur Alex S. Vitale sur les nouvelles propositions en matière de sécurité, et le mercredi 9 novembre, nous interrogerons Megan O’Neill, directrice associée de l’Institut écossais de recherche sur la police, sur le même sujet.

Il convient de souligner que le comité de rédaction de Notes de seguretat ne partage pas nécessairement le contenu des notes qu’il publie, et que les opinions des personnes interrogées ne représentent que leur point de vue et non celui du comité de rédaction ou du ministère de l’Intérieur de la Généralité de Catalogne. Le comité de rédaction est responsable de la sélection des personnes interrogées et du contenu des questions, mais pas des opinions exprimées.

Nous espérons que vous apprécierez ces entretiens et que nous pourrons continuer à profiter longtemps de votre présence sur le blog.

Le comité de rédaction de Notes de seguretat

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L’urbanisme au service des citoyens. Entretien avec Marik Fetouh, adjoint au maire de Bordeaux

Marik Fetouh

  1. En quoi est-ce que la transformation urbaine de Bordeaux consiste ? Quels sont le but et les priorités de cette transformation ?

Lorsqu’ Alain Juppé, alors premier ministre, est arrivé à Bordeaux en 1995, il s’était fixé comme objectif de réveiller “la belle endormie” comme Bordeaux était surnomée à l’époque. Pour renforcer son attractivité, il a complétement refaçonné la ville avec notamment la réhabilitation du centre historique, qui a abouti au classement au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2007. Avec 1 million de visiteurs, 10 000 nouveaux habitants et 11 000 emplois créés dans la métropole tous les ans, Bordeaux est aujourd’hui devenue une des villes les plus attractives de France.

Réconcilier les bordelais avec leur fleuve

Pendant très longtemps, les quais sont restés désaffectés, l’activité du port devenant très faible et ayant été transféré plus en aval du fleuve au Verdon. Les hangars étaient à l’abandon. Certains ont été rasés et remplacés par des jardins, d’autres transformés en espace d’exposition ou en magasin, faisant des quais aujourd’hui un espace de promenade très agréable et de détente. Le tourisme fluvial et de croisière s’y développent avec intensité.

Réhabiliter les quartiers les plus pauvres

Outre la rive droite, de nombreux quartiers, les plus en difficulté, ont bénéficié de programmes de rénovation urbaine, facilités par l’arrivée du tramway. Le programme le plus emblématique est celui du quartier de la gare, nommé Euratlantique, qui a été labellisé projet d’intérêt national.

Lutter contre l’étalement urbain et développer l’offre de logements

Pour lutter contre ces deux phénomènes, les politiques d’urbanisme menées depuis 20 ans visent à densifier et à augmenter l’offre. Au total, 9 000 logements sont livrés chaque année dans la métropole bordelaise. Sur la ville de Bordeaux des programmes ambitieux permettront de proposer 14 000 logements, dont 30% de logement social, dans les prochains mois.

Une ville verte

Afin de favoriser les déplacements doux et à pied, les places à Bordeaux sont restées assez minérales à l’occasion de leur rénovation. L’artificialisation des sols qui en découle, et l’absence de végétation sur certaines d’entre elles ne font qu’accentuer la chaleur ressentie en période de canicule par exemple. Pour lutter contre ce phénomène, le nouveau Maire de Bordeaux Nicolas Florian a décidé de planter 3 000 arbres par an dans la ville.

  1. Quel rôle les citoyens ont-ils joué dans le projet de transformation urbaine ?

La parole des habitant-e-s inspire désormais l’aménagement des espaces publics. Ces derniers font entendre leurs voix à travers les instances consultatives comme les conseils de quartier, en plus des consultations publiques obligatoires. L’aménagement du territoire prend en compte leurs demandes qui sont intégrées dans les différents projets.

Un premier budget participatif a été lancé par la Mairie de Bordeaux cette année. Plus de 13 000 Bordelais ont voté pour les projets de développement durable qu’ils souhaitent voir apparaître dans leur quartier. Sur 407 projets déposés, 41 viennent d’être désignés lauréats. Une enveloppe de 2,5 millions et demi d’euros d’investissement est prévue pour financer ces 41 projets. Ils seront réalisés dans les deux années à venir.

  1. Pensez-vous que le développement de la ville a entraîné l’amélioration de la sécurité et de la perception de sécurité de la citoyenneté ?

 Bordeaux est considéré, à juste titre, comme l’une des villes les moins dangereuses de France. En effet, elle se situe à la neuvième place des onze circonscriptions de police de plus de 200 000 habitants, avec un taux de 72 délits pour 1 000 habitants. De plus, la délinquance est en baisse régulière depuis 15 ans. En revanche, la mairie s’inquiète de “l’explosion des incivilités”, notamment celles liées aux trafics de drogue dans quelques quartiers de la ville.

 Afin de sécuriser les passants la Mairie de Bordeaux a intensifié l’éclairage de tous les lieux de vie et de passages la nuit (places, quais, ruelles…). De plus, la ville dispose de caméras installées au coin des rues, sous les toits, ainsi qu’aux endroits stratégiques. Pour ce faire, Bordeaux compte 105 caméras réparties dans toute la ville.

Enfin, ce niveau de délits particulièrement bas s’explique peut-être aussi par l’aménagement urbain qui a permis, à travers le tramway qui se situe en surface et qui relie tous les quartiers en difficulté au centre ville en moins de 15 minutes, de donner un réel sentiment d’appartenance à la ville de tous ses habitants.

  1. Comment l’urbanisme peut-il contribuer à améliorer la coexistence et l’intégration des différents groupes ?

 La connexion de la rive droite à la rive gauche, par le tramway et les différents ponts, a permis d’ouvrir le centre ville historique à une partie de la ville excentrée par le passé. De plus, la commune est devenue plus dynamique et plus homogène en créant des nouveaux lieux de vie.

Depuis 10 ans, le Programme National de Rénovation Urbaine mobilise acteurs publics et privés, élus, services de l’Etat, partenaires sociaux, organismes HLM, habitants pour requalifier plus de 500 quartiers partout en France, là où les conditions de vie étaient particulièrement difficiles. Sur Bordeaux, deux quartiers sont concernés sur la rive droite (La Benauge) et au nord de la ville (Les Aubiers).

De plus, trois agences françaises d’architecture ont reçu le prix Mies van der Rohe de l’Union européenne, pour la transformation de 530 logements sociaux dans le quartier Grand Parc à Bordeaux. Pour éviter la destruction des barres d’immeubles, les agences d’architecture Lacaton et Vassal, Frédéric Druot et Christophe Hutin ont agrandi l’ensemble. Avec cette technique de rénovation, tous les appartements ont gagné en surface et en luminosité. Réhabiliter plutôt que détruire c’est quatre fois moins coûteux.

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Otto M. J. Adang : « Dans la gestion de l’ordre public, l’interaction et la communication sont deux outils tactiques importants »

Le professeur Otto M.J. Adang (1956) est un spécialiste des sciences comportementales. Il est maître de conférences en gestion de l’ordre public et des dangers à l’école de police néerlandaise depuis 2004. Otto Adang s’intéresse à l’agression, la réconciliation et le comportement collectif dans le cadre du maintien de l’ordre public. Depuis 1998, il gère un programme de recherche sur la gestion de la violence et des risques en situation de conflit, qu’il a lui-même mis en place et qui se concentre sur les interactions entre la police et les civils.

Aujourd’hui, le professeur Adang a plusieurs responsabilités. Il est le responsable du département de gestion de l’ordre public et le directeur de la maîtrise en sciences policières de l’école de police des Pays-Bas. Depuis le 1er avril 2016, il est également professeur de sécurité et comportement collectif à la faculté de sciences sociales et comportementales de l’Université de Groningue (Pays-Bas). Depuis 2018, il est un professeur invité du centre de recherches policières de Canterbury.

Selon vous, quels ont été les changements les plus importants en matière de gestion de l’ordre public au cours de ces 10 dernières années en Europe ?

Le changement le plus important que j’ai observé en matière de maintien de l’ordre public dans la dernière décennie en Europe a été le passage d’une approche unilatérale axée sur le maintien de l’ordre, avec une utilisation indifférenciée d’armes à létalité réduite en situation de faible risque, à une approche de gestion de l’ordre public plus moderne et plus flexible axée sur la promotion de l’ordre, en définissant des limites et des frontières de façon ferme mais amicale.

Bien sûr, les pays n’ont pas tous appliqué ce changement, mais de plus en plus de « bonnes pratiques » peuvent être observées dans la gestion des événements publics.

Qu’est-ce qu’une bonne pratique ? Une bonne pratique consiste à éviter toute friction non nécessaire et à faciliter au maximum les intentions et les activités légitimes des participants. La surveillance et l’observation d’un évènement en temps réel sont des mesures importantes pour identifier d’éventuels problèmes et y répondre dès qu’ils surviennent. Il s’agit notamment de communiquer avec les participants et de les informer afin de comprendre ce qui les affecte, d’éviter tout malentendu concernant les mesures qui sont prises et de se conformer aux exigences.

En accord avec la question précédente et avec les derniers développements, vers quoi nous dirigeons-nous ? Quelles seront selon vous les prochaines étapes à suivre ?

Plusieurs tendances générales peuvent être observées en Europe de l’Ouest. La plupart proviennent d’un intérêt grandissant pour l’incorporation des connaissances scientifiques actuelles au maintien de l’ordre lors d’évènements publics.

Pour ne mentionner que certaines des tendances les plus importantes, on observe notamment une augmentation de la flexibilité de la police dans son ensemble, ainsi que des différentes unités, qui peuvent passer d’une approche à l’autre et aller et venir facilement.  Pour gagner en flexibilité, des changements au niveau des tactiques et des stratégies de réaction et de prévention sont nécessaires. Par exemple, en général, davantage d’attention est accordée à la collecte de preuves pour améliorer la « qualité » des arrestations et accroître les possibilités de succès des poursuites, et une approche centrée sur l’auteur des faits est préférée à une approche collective avec des détentions massives. On constate toutefois également un recours accru à une approche stratégique ferme mais amicale qui encourage un comportement pacifique et une approche progressive, différenciée et basée sur l’information qui augmente les capacités de la police en matière de dialogue, de communication et d’interventions discrètes et ciblées à un stade précoce. En Suède, on parle de Special Police Tactics (ou SPT, littéralement « tactiques policières spéciales »), Berlin a développé la politique de la main tendue, et le Royaume-Uni se vante du modèle britannique. De plus en plus d’« unités de dialogue » prennent forme. Par exemple, au sein des équipes de lutte contre les conflits en Allemagne, de la police de dialogue en Suède et des unités de renseignement avancé au Royaume-Uni (bien que ces dernières aient progressivement assumé un rôle différent).

Il existe également une tendance générale à accorder davantage d’attention aux débriefings après des évènements « problématiques », à identifier de bonnes pratiques et à échanger des enseignements entre forces.

Enfin, on constate un consensus général en ce qui concerne l’importance des renseignements sur les auteurs « connus » des faits. Il existe toutefois une insatisfaction générale quant à la qualité des renseignements, et il est également reconnu que les renseignements sur les auteurs « connus » des faits sont insuffisants et ne peuvent pas remplacer la compréhension de la sensibilité et de la dynamique de la foule dans un contexte donné. Les tendances internationales reflètent une prise de conscience croissante des mécanismes à l’origine de la violence collective, ainsi que des mesures les plus efficaces.

En tenant compte de votre expérience académique et internationale, quelles sont, selon vous, les meilleures pratiques/approches policières pour maintenir la paix sociale ?

Les services de renseignement sont considérés comme très importants pour identifier les groupes de fauteurs de troubles connus à la recherche d’affrontements. Pour qu’ils soient conscients des risques, les mesures qui seront prises s’ils transgressent ces limites doivent être bien claires pour eux (et pour les autres). En apprenant à les connaître, les autorités seront en mesure de les faire sortir de l’anonymat. Dans la mesure du possible, il est préférable d’éviter de prendre des mesures qui créent ou mettent en avant une situation de confrontation. L’interaction et la communication sont deux outils tactiques importants en ce sens. Lorsqu’il y a violence, une bonne pratique est d’agir rapidement, plutôt que d’attendre que la situation dégénère et devienne hors de contrôle, et de le faire de façon précise et ciblée, c’est-à-dire en visant spécifiquement les personnes qui transgressent les limites, qu’il s’agisse de hooligans ou de militants employant des tactiques de black bloc. Il est également reconnu que la nature opportuniste d’une grande partie de la violence collective limite l’utilité des renseignements. En effet, lorsque la violence dégénère, le nombre d’options disponibles s’épuise rapidement. En raison de ces incertitudes, la mise en œuvre de plusieurs scénarios hypothétiques est considérée comme essentielle.

Enfin, avez-vous détecté une mauvaise pratique qui mérite d’être signalée en matière de gestion de l’ordre public en Europe de l’Ouest ?  Si oui, à quels facteurs attribueriez-vous cette mauvaise pratique ?

Des tendances claires peuvent être observées d’un pays à l’autre en ce qui concerne le maintien de l’ordre lors d’événements publics.

Lorsqu’un besoin de changement se fait sentir, il ne s’agit pas nécessairement de changements de législation ou de nouveaux pouvoirs. Il s’agit plutôt d’un besoin de mieux comprendre et utiliser la législation existante.

Il est également important de garder à l’esprit que l’introduction de nouvelles armes n’est généralement pas la priorité. Il existe d’autres besoins. Les armes dites innovantes et à létalité réduite ne le sont en fait pas du tout, parce qu’il s’agit essentiellement de technologies existantes qui ne sont pas encore suffisamment développées pour être utilisées à des fins opérationnelles, et parce qu’elles sont intrinsèquement liées à des approches dépassées en matière de maintien de l’ordre.

Enfin, en ce qui concerne les équipements, nous devons passer à des équipements qui améliorent la protection individuelle des agents de police, la communication avec et entre les agents de police, les possibilités de communication avec les participants lors d’événements rassemblant des foules, les possibilités de collecte d’informations ou de preuves et la flexibilité.

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Clara Luz Flores Carrales : « Il faut systématiser et professionnaliser les corporations ».

Présidente municipale d’Escobedo, Nuevo León, Mexique. Licenciée en sciences juridiques à l’université Regiomontana et master en droit administratif à l’université de Saragosse (Espagne).

Elle a exercé comme conférencière en matière de sécurité publique et a participé à plusieurs stages de haute direction publique.

Soulignons sur son parcours qu’elle est une des premières mairesses de tout le Mexique à être parvenue à sa réélection. Elle a été élue comme présidente municipale de General Escobedo (Nuevo León) à différentes périodes.

Elle a été reconnue par la Conférence nationale de sécurité publique, le Modèle de sécurité Escobedo ayant été retenu pour être implanté dans tout le Mexique au titre de stratégies pour la prévention et la réduction de la violence et l’éradication de la « fabrique de criminels ».

Qu’est-ce qui fait qu’une personne comme vous, jouissant d’une solide position sociale, décide de focaliser son activité politique sur la lutte contre la criminalité, la violence et l’extorsion, souvent au risque de mettre sa vie (et celle de ses enfants) en danger ?

Je crois qu’en tant que citoyens, nous devons nous comporter et œuvrer pour un environnement meilleur, fuir l’apathie et être proactifs, d’ou ma conviction pour la participation, afin de créer, où que je sois, un espace de qualité de vie, de paix et de tranquillité, pour ma famille, pour mes voisins, pour ma commune, pour mon État et, bien sûr, pour mon pays.

Vous êtes aujourd’hui une autorité incontestable en matière de politiques de sécurité publique, mais pas seulement dans votre État du Nuevo León mais aussi dans tout le Mexique, car vous avez été nommée présidente de la Conférence nationale de sécurité, que pensez-vous qu’apporte votre stratégie de sécurité, qui fait qu’elle apparaisse comme une alternative, peut-être même comme un espoir pour les politiques de sécurité sur l’ensemble du Mexique ?

Pour moi, la clé réside, d’une part, dans le fait que cette proposition cherche à régler le problème à la source : éviter que nos enfants et nos jeunes voient le chemin de la délinquance comme une alternative, et, d’autre part, dans le fait que notre stratégie est intégrale car elle part de la prévention et va jusqu’à la protection de l’intégrité physique des personnes et de leurs biens en s’appuyant sur l’analyse et l’investigation au service d’une justice sociale où la police bénéficie de la confiance des citoyens.

Aucune autorité du domaine de la sécurité ne met en doute le grand travail que réalise le général Lara en transformant radicalement la police d’Escobedo, en la rendant à la fois plus proche du citoyen et plus efficace dans la lutte contre la criminalité. Toutefois, certains sont quelque peu déçus du fait que vous ayez choisi pour unique solution au problème de sécurité d’Escobedo de confier la direction du projet à un militaire de haut rang. Que répondriez-vous à ces critiques ?

Je dirais que la nomination d’un militaire à la tête du secrétariat répond à un contexte de violence extrême. À partir de là, tant la stratégie que les aptitudes des instances de commandement de la police et leurs chefs ont évolué grâce à l’entraînement et à la formation, de telle sorte qu’aujourd’hui, l’ensemble de la corporation a totalement changé de visage, depuis la tête jusqu’à la base.

Un autre élément qui a motivé cette décision est que la formation militaire et sa discipline de fer a pour résultat des individus ordonnés et dévoués par conviction aux tâches qui leur sont confiées. De plus, ces derniers possèdent certaines aptitudes à apprendre et évoluer et, pour ce qui est du général, il combine expérience policière et expérience militaire, ce qui apporte une valeur interdépendante à l’une et à l’autre.

Comment voyez-vous, depuis votre double point de vue (mairesse d’Escobedo et présidente de la Conférence nationale de sécurité), le futur du Mexique en matière de sécurité ? Que doit-il se passer pour inverser la tendance croissante, ces dernières années, de la spirale de violence qui frappe le pays ? Quelles formules faut-il appliquer au niveau fédéral pour accompagner des expériences aussi positives que celle que vous menez au niveau municipal ? La Garde nationale est-elle une solution ?

Il faut systématiser et professionnaliser les corporations, il faut que les processus et les procédures soient périodiquement évalués, chez nous cela a donné des résultats. L’implantation d’un modèle approprié pour chaque commune est vital car si la commune prend ses responsabilités, cela donne naissance à un cercle vertueux dans lequel, d’abord la commune puis l’État et la Fédération, qui en est certes consciente et l’accepte, font leur travail pour pallier ce problème.

Je crois que nous avançons dans la bonne direction pour sortir de cette spirale. Je suis convaincue que le modèle de police municipale qui est sur le point d’être implanté dans le pays, de même que les programmes visant à freiner la violence familiale et sociale, disposent de l’expérience acquise et des éléments méthodologiques pour y parvenir.

La Garde nationale est un élément de plus dans un ensemble d’actions qui doivent être articulées à partir des communes, dont le modèle de police municipale et la formation des acteurs, entre autres.

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