Juan José Medina Ariza : « Nous avons également besoin d’une police plus plurielle, avec davantage de personnel civil ainsi qu’une plus grande diversité dans ses rangs »

Juanjo Medina est un éminent chercheur au sein du programme Talentia et affilié au département de droit pénal et de sciences criminelles de l’Université de Séville. Il était jusqu’en août 2020 professeur titulaire de criminologie quantitative et directeur du département de criminologie de l’Université de Manchester. Il a assuré la présidence de la société espagnole de criminologie de 2016 à 2020.

1. Quels sont les éléments qui définissent un modèle policier ?

Il s’agit à mon sens d’une question terriblement importante et qui n’a, malgré l’utilisation fréquente de l’expression « modèles policiers », toujours pas reçu réponse satisfaisante. Le travail de Kelling et Moore (1988) constitue peut-être encore aujourd’hui l’exemple le plus connu visant à y répondre de manière systématique. Ils ont établi 7 dimensions : source de légitimité, définition du rôle de la police, conception organisationnelle des services, relations avec la communauté, nature des efforts de la police pour commercialiser ou gérer la demande de ses services, tactiques et mesures convenues de réussite. En se concentrant sur l’expérience historique américaine, ils font la distinction entre les modèles politique, réformiste/professionnel et communautaire/de résolution de problèmes. Guillen (2016), à la suite de Bertaccini, discute de la façon dont le terme « modèle policier » est souvent utilisé comme « point de référence » pour améliorer les façons antérieures de penser et d’organiser la police, ce que Wood et Shearing (2007) qualifient de « vagues de réformes policières ». Ainsi, à bien des égards, toute la discussion sur les modèles policiers a pris jusqu’à présent une dimension clairement politique et idéologique. Il semble qu’il s’agisse davantage de ce à quoi nous voudrions que la police ressemble, que d’un concept utilisé pour mesurer la diversité des modèles : la manière dont les organisations policières varient entre les juridictions nationales et régionales. Sans rejeter la pertinence d’une telle utilisation du terme « modèle de policier », en tant qu’empiriste, je pense qu’il serait utile de commencer à réfléchir à des dimensions pertinentes qui pourraient être utilisées pour caractériser les modèles existants et leurs différences, d’une manière plus rigoureuse et fondée.

2. Parmi les modèles policiers existants, lequel est, selon vous, le meilleur pour assurer une coexistence pacifique et une société sûre ?

Je suppose que ma réponse précédente me place dans une position délicate pour répondre à cette question ! Je ne suis pas sûr que nous puissions lister de manière exhaustive les modèles de police existants dans le monde et encore moins déterminer lequel est le meilleur. Ceux d’entre nous ayant travaillé dans divers pays et connaissant différentes institutions policières à l’échelle internationale sont conscients de certaines de leurs différences et similitudes les plus notables. Nous devrions suivre les pas de David Bayley en essayant de nous engager dans une comparaison empirique transnationale plus systématique si nous voulons vraiment identifier clairement ces modèles. Une grande partie des discussions sur la réforme a été menée par les universitaires américains spécialisés dans le maintien de l’ordre, dont les principaux intérêts sont de maximiser l’efficacité de la réduction de la criminalité (par le biais de points chauds, de la résolution de problèmes, etc.) tout en minimisant les coûts sociaux, inégalement répartis, des tactiques proposées. Pour atteindre ce dernier objectif, nous devons mieux comprendre l’ampleur de ces coûts. Mais nous devons de toute façon aller au-delà de ce genre de discussions. Le système policier est plus complexe qu’une simple agence de lutte contre le crime. Pour moi, un bon modèle est débattu démocratiquement et soutenu par la citoyenneté. Comme indiqué précédemment, nous devons prendre en compte différents éléments (nature du rôle de la police, tactiques, mécanismes de responsabilité, nature et contenu de la formation, degré de diversité, et un très long et cetera). En Espagne, nous sommes très en retard sur cette question. Des initiatives comme celles du Parlement catalan, mais aussi la position de différentes ONG et d’universitaires espagnols plus critiques à l’égard du maintien de l’ordre, constituent un bon premier pas vers la tenue de ce débat qui, je l’espère, recevra l’attention qu’il mérite. Le problème est de savoir si la classe politique sera suffisamment mature et responsable pour suivre le mouvement.

3. Au-delà du contrôle judiciaire, quel contrôle externe les organisations policières devraient-elles avoir ? Quelles sont les conséquences de ces contrôles ?

Je pense qu’en termes de responsabilité et de contribution démocratique, nous devons penser au-delà des mécanismes formels de discipline (qu’ils soient internes, judiciaires ou externes). Nous avons également besoin d’une police davantage plurielle, une plus grande diversité dans ses rangs et plus de personnel civil. Des partenariats entre la police et les universités sont nécessaires. Nous avons besoin de journalistes qui prennent au sérieux le rôle de la police, plutôt que de se contenter de rendre compte des crimes graves ou émotionnels. Nous devons complètement repenser la formation de la police et qui doit s’en charger et je pense qu’il est important que la communauté soit davantage impliquée durant cette étape. Une amélioration des protocoles internes sur les incidents critiques ainsi que des données beaucoup plus exhaustives et ouvertes sur ces incidents sont nécessaires. J’aimerais que l’Espagne adopte un système similaire aux inspections britanniques, afin qu’il y ait un véritable audit des performances de la police et de la qualité des services dans tout le pays. Nous avons besoin de commissions parlementaires capables de travailler ensemble pour trouver une forme d’accord sur les mesures à prendre et des ministres qui n’ont pas peur de critiquer leurs propres employés lorsqu’ils adoptent des pratiques inacceptables. Si tout ce que nous avons en Espagne, à part le système judiciaire, est le défenseur des droits de l’homme, c’est que nous devons rendre cette institution plus efficace qu’elle ne l’est actuellement.

4. Dans quelles circonstances la police doit-elle changer de modèle s’il n’est pas considéré comme valide, et qui doit être chargé de ce changement : les professionnels, le gouvernement ou les citoyens ?

Nous devrions faire ce que la citoyenneté exige, le gouvernement devrait faciliter la transition, et les professionnels, ainsi que les universitaires, devraient communiquer sur les nuances, les difficultés et les défis des réformes proposées. En fin de compte, les professionnels doivent comprendre que dans une démocratie, ils sont au service peuple, et non l’inverse, et qu’ils ne peuvent pas faire obstacle au changement. Bon nombre d’Espagnols adultes n’étaient même pas encore nés lorsque le modèle actuel a été inscrit dans la loi organique 2/1986. Depuis lors, la société a évolué. De plus, il existe de nombreux problèmes liés à la loi de la protection de la sécurité des citoyens, surnommée en Espagne « ley mordaza » (loi bâillon). Ainsi, il est raisonnable de considérer que les circonstances permettant d’établir un nouveau contrat social sur le modèle policier sont déjà réunies en Espagne.

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