Nora Miralles Crespo : Journaliste. Master en Genre, conflit et droits de l’homme de l’Université d’Ulster (Belfast) et master en Relations internationales, sécurité et développement de l’Université autonome de Barcelone. Chercheuse en genre, sécurité, militarisme et droits de l’homme à l’Observatoire des droits de l’homme et des entreprises en Méditerranée (ODHE) et à Shock Monitor, ainsi qu’au Centre Delàs d’études sur la paix. Conseillère et chercheuse dans le domaine des alternatives de sécurité à l’Institut international catalan pour la paix (ICIP). Militante pour différents mouvements sociaux.

1. Quelles stratégies la police utilise-t-elle dans le domaine de l’ordre public ?
Globalement, je perçois deux tendances stratégiques opposées ou divergentes qui coexistent dans le domaine de l’ordre public. L’une d’elles est l’ouverture à d’autres visions de la sécurité, qui se concrétise par l’introduction d’outils tels que la médiation, la police de proximité ou de quartier ou les programmes de mentorat pour les jeunes. Ces approches ont un impact sur l’ordre, mais sont avant tout préventives et reposent sur une compréhension plus approfondie des causes des conflits sociaux. L’autre, au contraire, s’aligne sur le processus d’expansion acritique des fonctions policières et l’approche sécuritaire de phénomènes qui n’étaient pas considérés auparavant comme des problèmes ou des troubles à l’ordre public. Cette dernière tendance s’est traduite, entre autres, par une atteinte évidente aux droits des citoyens tels que les libertés d’expression et de manifestation. Une tendance émergente est l’introduction et la standardisation de technologies de surveillance de masse et de la biométrie nous faisant vivre sous un contrôle permanent et nous privant de vie privée, sans que leur utilisation soit justifiée ou correctement réglementée, ainsi que l’utilisation toujours plus fréquente d’armes (supposément) non létales.
2. Est-il possible d’adopter un plan d’action prédéterminé selon les différents types de manifestation et la manière dont ces derniers peuvent évoluer ?
Sans aucun doute, si l’objectif est d’agir en respectant les droits de l’homme et des citoyens, la mise en place d’une méthode d’action invariable doit nécessairement découler d’une analyse et d’une réflexion préalables sur comment d’aborder le conflit de la manière la plus proportionnée et la moins nocive possible, à chaque moment et pour chaque scénario. Les protestations sociales sont des réactions naturelles aux décisions de la classe politique. Elles constituent un moyen normal et démocratique d’exprimer un mécontentement ou une divergence. Le premier problème, à mon sens, est la diabolisation de la protestation sociale, de sorte qu’il devient logique et courant que toute manifestation ou événement politique dans l’espace public fasse l’objet d’une présence importante non pas de patrouilles de sécurité, mais d’unités spécialisées en maintien de l’ordre, comme si manifester était en soi un trouble à l’ordre public. D’un autre côté, les actions violentes lors des manifestations sont minoritaires et presque jamais dirigées contre d’autres personnes, et pourtant il semble que la réponse soit trop souvent disproportionnée face à la gravité des faits.
3. Dans quelles conditions le droit de manifester peut-il être interrompu ou limité pendant un rassemblement ou une mobilisation ?
Pour moi, la différence réside sans aucun doute dans le risque pour l’intégrité physique ou la vie d’autrui. Je parle d’un risque réel, pas d’une échelle arbitraire au nom de laquelle interrompre toutes les manifestations qui critiquent l’ordre établi ou qui envoient des messages sans intérêt, au sens large.
4. Quelles doivent être les responsabilités des organisateurs d’une manifestation en ce qui concerne le contrôle de la mobilisation et les conséquences allant à l’encontre de leur volonté ?
Je considère qu’il est dangereux et même hypocrite de vouloir rendre les citoyens qui s’organisent pour appeler à une manifestation responsables de tout ce qui se passe, alors que d’autre part, au cours des dernières décennies, la responsabilité de pratiquement tout ce qui concerne l’intervention sociale et communautaire leur a été enlevée, parce qu’il était déjà intéressant que tout ce qui est collectif soit guidé et contrôlé par l’Administration. Soit vous accordez la pleine responsabilité aux citoyens, soit vous la leur retirez complètement, mais ne la leur donner qu’afin de faire endosser à quelqu’un une émeute est clairement une façon de limiter les libertés publiques. Les quelques poches d’opposition disparaîtraient par peur de la répression pénale et administrative.
5. Selon vous, lors de manifestations comportant un certain degré de violence, quels instruments est-il acceptable d’utiliser pour rétablir l’ordre public en causant le moins de dommages possible ? Des canons à eau, par exemple ?
Évidemment, un canon à eau fera moins de dégâts, en principe, qu’un flash-ball, mais une médiation bien dirigée sera toujours moins incendiaire que tout mécanisme répressif. Les conflits sociaux, y compris les expressions violentes dans les manifestations, doivent être abordés en priorité sur une base préliminaire et structurelle, car ils surgissent en réaction à la discrimination et à la violence générées par un système socio-économique de plus en plus inégalitaire. Par conséquent, les réponses répressives dans le contexte concret d’une manifestation sont impuissantes face à un problème beaucoup plus profond, elles instaurent une fausse paix sociale, qui ne tient compte que de l’absence de conflit dans l’espace public. Mais la violence sociale ne disparaît pas, elle s’enracine simplement, se canalise dans d’autres sphères comme la sphère privée ou se traduit par une augmentation de la violence au sein de la communauté et de la famille. Concernant les mal nommées « armes non létales », j’apprécie particulièrement la réflexion de Paul Rocher dans son livre Gazer, mutiler, soumettre. Politique de l’arme non létale, récemment publié par La Fabrique Éditions, sur la façon dont ce type de mécanisme, considéré comme moins nocif, en plus d’être discutable en termes de dégâts potentiels (entraînant mutilations et même, contrairement à ce que leur nom laisse entendre, la mort), finit par être utilisé non pas en substitution à des armes plus dangereuses, mais dans des conflits durant lesquels aucune arme n’était utilisée auparavant.
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